≈ 90 minutes · No intermission
Last updated: November 14, 2024
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Mot du metteur en scène
Avant de choisir la figure de Safia Nolin, le projet était destiné à explorer un tout autre matériau. Avec Anne-Marie Voisard, anciennement responsable des affaires juridiques chez Écosociété, également doctorante en études sociologiques et politiques, et Emmanuelle Sirois, doctorante en études et pratiques des arts, nous avions d’abord travaillé en laboratoire sur les questions de censure et de liberté d’expression ayant pour objet une série d’entrevues menée par Voisard pour le compte de l’Alliance internationale des éditeurs indépendants. Dans cette série d’entretiens, des éditeur·trice·s de partout dans le monde relatent leurs expériences difficiles avec les pouvoirs politiques et les régimes totalitaires. Nous y découvrions que, encore aujourd’hui, le livre est un objet de persécution et qu’il se trafique clandestinement des milliers d’ouvrages.
Cette importante recherche ne nous a pas permis d’y trouver une matière théâtrale convaincante. De plus, nous étions particulièrement préoccupé·e·s par notre propre légitimité, par les mécanismes d’appropriation des récits provenant des éditeur·trice·s et surtout provenant de réalités qui sont méconnues de notre part. Certaines questions entourant la sécurité des personnes interviewées devaient également être prises en considération.
Toutefois, cette riche matière nous a permis de regarder sous un autre angle le climat social qui prévaut ici même. Les questions de censure sont bel et bien actives et sont enracinées dans plusieurs de nos mécanismes sociaux et comportementaux. Il peut s’agir de censure économique comme ce qu’a vécu Anne-Marie Voisard durant l’affaire Noir Canada, mais l’altérité est incontestablement le carburant d’une censure haineuse.
Lorsque j’ai mis en scène Safia Nolin aux Francos de Montréal, elle m’a partagé des extraits provenant d’une radio-poubelle de Québec. On y fait jouer des compositions de Safia sur lesquelles on ouvre les lignes afin que les auditeur·trice·s appellent pour l’insulter. Les propos vont jusqu’à l’appel au suicide, et ce, sans modération de la part des animateur·trice·s. Lors du spectacle sur la Place des Festivals, nous avons diffusé cet extrait devant des milliers de spectateur·trice·s. La puissance de la réaction du public, stupéfait par l’ampleur des propos, ne m’a pas quitté depuis. Dès lors, j’ai compris que Safia était le vecteur d’une violence omniprésente et multiforme. Il ne m’était plus possible de détourner le regard de ce constat, cela deviendrait mon sujet.
Depuis, elle a été victime de nombreux évènements haineux. Devant ce déferlement, elle a pris la décision de s’absenter momentanément de l’espace public en vivant en France pendant plusieurs mois. La censure collective a eu raison.
Pourtant, la place de Safia est sur scène, avec toute la beauté qu’elle est en mesure de générer.
D’un point de vue plus personnel, avec ce projet, je veux briser le cycle de la haine. Celle qui prend racine dans mon adolescence, celle que l’on pourrait qualifier d’ordinaire. Insultes, agressions physiques, exclusion au quotidien. Le lot d’un corps frêle dont la masculinité tarde à éclore. Un prix doux si je compare à d’autres histoires nettement plus violentes, mais qui alimentent néanmoins un désir de réparation.
Cet entretien a été réalisé par le Festival TransAmériques (FTA) à l’occasion de la création du spectacle (du 30 mai au 1er juin 2024).
En juin 2019, aux Francofolies de Montréal, vous décidez d’ouvrir le spectacle sur lequel vous collaborez en diffusant l’enregistrement d’un extrait radiophonique où l’on entend des propos extrêmement haineux à votre égard, Safia. Pourquoi avoir décidé de diffuser cet extrait et quelle a été la réaction du public?
Safia Nolin : Je pense que ça venait d’un désir de me réapproprier le narratif et de reprendre le pouvoir. Beaucoup de gens ne savent même pas que ce type de discours existe. Je voulais que tout le monde puisse entendre jusqu’où ça allait. Ça a été un moment étrange, silencieux et très puissant aussi. J’avais enfin le sentiment de prendre position publiquement, concrètement, pas seulement à travers les réseaux sociaux, mais dans un espace dédié à la musique.
Philippe Cyr : L’idée de rendre concrète la violence dirigée contre Safia est à la source du présent projet. Entendre ces propos avec elle, en compagnie de dizaines de milliers de personnes, ça installe un rapport très différent que de les lire sur son ordinateur. C’était saisissant de capter le malaise de la foule et de sentir l’indignation naissante.
Selon vous, Safia, pourquoi êtes-vous l’objet d’une haine aussi puissante?
Safia Nolin : Apparemment, il y a quelque chose dans mon histoire, dans ma vie, qui fait que je présente absolument toutes les caractéristiques qui confrontent les gens. Je représente le changement, la différence. J’ai aussi l’impression que j’aurais très bien pu être ce que je suis, mais ne pas l’affirmer aussi librement et alors, ça n’aurait pas autant choqué. Je pense que c’est le fait que je ne m’excuse pas d’être qui je suis qui est le plus dérangeant.
Philippe Cyr : On est dans une période où toutes les questions d’identité, de redéfinition des genres et d’appartenance sont très vivantes. Aujourd’hui, l’identité de Safia semble constituer un appel à la révolution, au corps de demain, à la personne de demain. C’est comme si sa personne faisait peur à toute une catégorie de gens parce que sa manière d’être au monde remet en question un mode de vie, un mode de pensée, l’ordre établi finalement.
Votre spectacle s’inspire du titre d’un ouvrage du philosophe français Michel Foucault où il s’intéresse aux mécanismes de surveillance et de punition de la prison et, plus largement, à ceux des sociétés occidentales contemporaines. Comment dialoguez-vous avec sa pensée?
Philippe Cyr : Dans son analyse, Foucault soutient que le panoptique, en permettant une surveillance continue des individus, constitue le moyen idéal pour contraindre les corps. Nous émettons l’hypothèse que les réseaux sociaux peuvent également agir comme outil de contrainte. Dans le panoptique, on imagine un demi-cercle de prisonnier·ère·s qui fait face à une surveillance au centre. Ici, c’est un groupe d’abonné·e·s des réseaux sociaux, le chœur, qui est tout entier dirigé vers une personne. À force de commenter tous les aspects de l’identité de Safia, il y a une censure qui s’opère. Nous avons trouvé que la transposition était extrêmement efficace.
En mettant dans la bouche d’un véritable chœur les insultes adressées à Safia sur les réseaux sociaux, notre geste est double : on veut à la fois conscientiser le public à la gravité de la situation et se réapproprier les mots pour les sublimer. Malgré l’agressivité véhiculée dans ces paroles, le chœur ne sera pas seulement ennemi. Il représente aussi une communauté qui se crée autour de Safia. La présence de la comédienne Debbie Lynch-White, qui agit en quelque sorte comme son alter ego, vient installer une sororité qui accentue cet effet. C’est un procédé assez surprenant, réparateur, qui survient grâce à la musique.
Aux côtés de Safia à la musique, on retrouve le musicien, concepteur sonore et arrangeur Vincent Legault (Dear Criminals, Pierre Lapointe, Salomé Leclerc). Comment s’organise cette collaboration?
Philippe Cyr : Vincent Legault compose la musique des chœurs sur un livret de Jean-Philippe Baril Guérard. C’est un moyen que nous avons trouvé pour que Safia ne soit pas amenée à composer de la musique sur des propos hostiles qui lui sont adressés. De son côté, Safia va en quelque sorte répondre à cette violence par ses propres compositions. Reprendre la parole, ça ne veut pas dire nécessairement réagir directement à la méchanceté, mais peut-être simplement choisir ce qu’on raconte, ce dont on veut parler.
Safia Nolin : C’est une expérience vraiment intéressante et qui me permet de réunir deux pôles de ma vie qui sont toujours mis en opposition, à tout le moins aux yeux du public. J’ai souvent l’impression que la personne qui reçoit toute cette marde, c’est moi, et non pas l’artiste en moi. Je reçois moins de critiques au sujet de mon travail, celles et ceux qui m’insultent me parlent davantage de mon physique, de ma personne, pas de ma musique. Alors d’utiliser mon métier comme arme face à cette violence, je crois que c’est très salvateur.
Pour saisir la signification de la haine, il faut la comprendre dans notre chair. Nous pouvons la théoriser, l’intellectualiser, mais l’expérience de la sensation est irremplaçable.
Il faut transmettre l’ampleur des propos et des actions visant Safia. Ce faisant, on prend conscience de l’importance de ce qui est dit, de la réelle violence, au-delà de ce que nous connaissons d’une manière superficielle. Cela nous force à conscientiser une strate de la pensée collective qui se cache sous quelques couches de vernis.
Nous pourrions dire que la scène permet de matérialiser les paroles, de comprendre la nature réelle des propos soi-disant virtuels. L’espace public que sont les réseaux sociaux est transposé sur scène et permet ainsi un rapport concret. Il engendre une friction éclairante. Les corps, émetteurs de ces propos, deviennent des supports familiers où un processus d’identification et de reconnaissance est possible.
La scène exige de dépasser le réel, elle appelle à transcender la matière pour lui donner une forme spécifique. C’est dans cette qualité de transcendance que la théâtralité advient. C’est dans ce mouvement que l’on peut imaginer produire plutôt que de reproduire.
Il s’agit en quelque sorte de sublimer la haine pour générer une réponse puissante et briser sa reconduction. C’est surtout permettre une réponse à Safia. En lui donnant le temps, le choix des mots, la scène, c’est donner la place à une réappropriation de l’espace public selon ses propres paramètres, ses propres moyens.
C’est-à-dire avec son arme principale, la musique.
Création entièrement musicale, le livret est composé de textes provenant du réel, c’est-à-dire de messages privés reçus par Safia ou encore de recherches faites sur le web dans les sections commentaires des différents médias en ligne. L’autre partie des paroles est inspirée du réel sans pour autant être exclusivement véridique. Les paroles puisent dans les thématiques soulevées par la vie publique de Safia : grossophobie, arabophobie, homophobie, appel au suicide, évocation de la mort et harcèlement.
En réponse, Safia offre de toutes nouvelles compositions musicales. À noter que Safia Nolin a elle-même archivé une grande quantité de propos haineux la concernant, tant sur les réseaux sociaux que des photos, des graffitis, et des enregistrements provenant des radios. Nous avons également engagé une recherchiste qui a créé une banque de 25 000 mots à partir des commentaires sur différents sites web.
Ce texte est tiré du cahier dramaturgique conçu par le Prospero.
Pour les représentations au CNA, les chansons sont interprétées par un chœur composé de dix-sept choristes professionnel·le·s et amateur·e·s de la région d’Ottawa-Gatineau et de quatre interprètes de Montréal. Le recrutement et les répétitions ont été assurés par Robert Filion.
Trained at the St-Hyacinthe CEGEP Theatre School, Jean-Philippe Baril Guérard is an author, columnist, director, and actor. We saw him at La Licorne Theater (Contes urbains) and at the TNM (L’école des femmes, Cyrano de Bergerac). On the small screen, he lends his talent to various productions such as O’, District 31, Le chalet, Marche à l’ombre, Mon ex à moi and Pourtoujours plus un jour. Since 2010, he has been personifying many actors while dubbing movies and television series.
Jean-Philippe is also the author of many plays including Baiseries (Théâtre en petites coupures, 2010), Warwick (Theater Squadron, 2013), Tranche-cul (Espace Libre, 2014), La singularité est proche (OFFTA 2016 and Espace Libre in 2017) and Vous êtes animal (Quat’Sous, 2022). He is also the director of those last two plays. His directorial career led him to orchestrate three Just For Laughs Gala in the summer of 2018: Laurent Paquin, The Denis Drolet and Pier-Luc Funk.
With his novel Sports et divertissements (2014), he begins a writing cycle that continues with Royal (2016)—for which he won the College Award and whose adaptation will be brought to the big screen—and concludes with Manuel de la vie sauvage (2018), which was later adapted into a play by Jean-Philippe, as well as a television series, in which he plays in both. Manuel de la vie sauvage won, in 2022, a Gémeau Prize “Best original program or series produced for digital media: variety”.
His imagination and his eloquence can be heard during his columns on the radio show Jusqu’au bout on the ICI Première radio channel. Since 2019, the series Faux départs, entirely written by Jean-Philippe, is available on the platform Tou.tv. He adapted to the small screen his fourth novel, Haute démolition, which released in 2021.
Safia Nolin sees herself as a political being through her battles, the topics she tackles and her appearance. As she, a racialized and openly lesbian woman, is perceived as deformed because she doesn’t fit the feminine patterns we’ve been taught for centuries, she’d rather embrace that dissonant image rather than matching damaging ideals by being someone she’s not. This is how Seum is an accomplished piece of work that fully defines its author. Safia Nolin is an artist and a person shedding her skin and celebrating this transition doing what she does best, by honoring all sorts of pain.
While she’s tuning her guitar during an interlude onstage, Safia Nolin tells the audience about her day with a lot of humor before introducing the next song as even more depressing than the previous one. As her first two albums (Limoilou, 2015 and Dans le noir, 2018) predicted it, the Seum EP that Safia Nolin released in 2021 was never going to be an optimistic piece of work. However, just like any other painful musical creation, Seum is a record that thrives on mourning a few things from the past and taming one’s demons. Although Safia remembers conceiving all eight tracks from the EP with a deep feeling of injustice, she now finds herself soothed, playing it live in Quebec as well as in France.
Safia herself set herself up as the art director of her latest single, the ballad “Carrie” that she sings in English. She not only is a singer-songwriter, she now chooses to go completely DIY by crafting the imagery accompanying her music.
Moreover, lately she’s gone entirely independent as an artist, freeing herself from any label company. Better off without anyone but herself on that new path she’s building on her own, she recorded most of the four tracks from Seum outside, each of them in a melancholic version called sunrise and in a happier version, sunset.
Her recent passion for crochet now adds to the softness of her voice and the roughness of her feelings. Crochet goes beyond a simple pastime as it allows Safia to express once more her duality, shunt from her cheerful and kind personality to a genuine sorrow she exorcizes through music. The pieces of clothing (hats, sweaters, gaiters, etc.) that she crafts display explosive and eccentric colors that contrast with long threads she intentionally lets hang from the rest, showing her attachment to her ideal of deformity.
To dream of one’s death can be scary at first, but it so happens that it means saying goodbye to a piece of oneself, as if one’s mind simply realized it was making a fresh start all along. Safia Nolin’s songs may be dark on every level, yet still it is by burying a former part of herself as shown on her latest EP’s cover that she delivers an authentic record with her own particular kind of pop music. Deliberately thundering and dirty, her guitar goes perfectly with Safia’s clear, calming voice. Agathe Dupere (bass), Marc-André Labelle (guitar) and Jean-Philippe Levac (drums) accompany the artist laying out what she finds herself in the most: the raw imperfection of the moment.
Debbie Lynch-White graduated from the Cégep de Saint-Hyacinthe theatre program in 2010. Soon after graduating, she was hired by choreographer Dave St-Pierre as an understudy in La pornographie des âmes. In 2011, she performed in Le cycle de la boucherie, created by St-Pierre’s company and presented at the Théâtre La Chapelle.
That same year, she co-founded the Théâtre du Grand Cheval (TGC) and produced Chlore, an original creation of which the young company could be justifiably proud. Premiered at La Petite Licorne in October 2012, the show was such a public and critical success that it was remounted by the Théâtre d’Aujourd’hui in January 2014. Debbie’s work with the TGC continued with a second creation, Sylvie aime Maurice, which premiered at La Grande Licorne in March 2017.
Debbie went on to star in a number of other plays, including Le vertige (Théâtre de l’Opsis), Sunderland (Compagnie Jean-Duceppe), J’accuse (Théâtre d’Aujourd’hui), and Roméo et Juliette (Théâtre du Nouveau Monde), as well as several summer theatre productions across Quebec.
Recent stage appearances include Tremblements at Espace GO, Les glaces at Théâtre La Licorne, L’art de vivre at the Quat’Sous, and Platonov, amour, haine et angles morts at Théâtre Prospero.
Debbie’s career took off in 2012 when she landed the role of Nancy Prévost in Radio-Canada’s hugely popular soap opera Unité 9. Since then she has been a regular on Quebec television, appearing in Une autre histoire, aired on ICI Radio-Canada from 2018 to 2021, as well as in Le jeu, Caméra café, and La faille on TVA, and in the three seasons of the Télé-Québec series Le pacte.
At a turning point in her career, Debbie was cast as Mary Travers, the lead role in the film La Bolduc, released in early 2018. She performed the film’s entire soundtrack, a performance that earned her the Iris Award for Best Performance by an Actress in a Leading Role. In 2017, she also appeared in her first English-language feature film, Happy Face.
In 2019, Debbie went on tour with her show of cover songs, Elle était une fois, in which she performed great songs by female songwriters while sharing her passions, her sorrows, her joys and her concerns.
In 2021, she created and hosted the moving documentary series Histoires de coming-out. More recently, she was part of the quartet of female actors in Les Bombes, a Sériest series that she also created.
In 2024, she played Des-Neiges Verrette in the film adaptation of the Michel Tremblay classic Les belles-sœurs, directed by René Richard Cyr.
Philippe Cyr holds a bachelor's and master's degree from the École supérieure de théâtre de l'UQAM. He began his career at Théâtre Prospero, where he directed his first plays. In 2012, he founded the theater company L'Homme allumette, with which he created an adaptation of the poetic text Les cendres bleues by Jean-Paul Daoust, Selfie by Sarah Berthiaume and Le brasier by David Paquet at the Centre du Théâtre d'Aujourd'hui. With Gilles Poulin-Denis, he created Ce qu'on attend de moi, a co-production of L'Homme allumette and 2PAR4 presented in Montreal (Théâtre Aux Écuries and Usine C), Ottawa (at La Nouvelle Scène Gilles Desjardins, by the NAC French Theatre and the Théâtre du Trillium) and Vancouver (Théâtre La Seizième). He also works with other companies for which he directed Le iShow (Les petites cellules chaudes), Unité modèle by Guillaume Corbeil (La Seizième) and Prouesses et épouvantables digestions du redouté Pantagruel, a text by Gabriel Plante based on Rabelais' work (Théâtre Denise-Pelletier).
For the documentary theater company Porte Parole, directed by Annabel Soutar, he directed Christine Beaulieu's acclaimed saga J'aime Hydro (presented at the NAC in November 2019). Philippe Cyr is also an associate artist at Usine C.
International Alliance of Theatrical Stage Employees