À l’occasion du Mois du patrimoine asiatique et tout au long de l’année, le Centre national des Arts rend hommage aux artistes et aux auditoires asiatiques dans ses salles et ses espaces. En 2024, la Lanterne Kipnes se joint à la fête! L’œuvre de Christine Mangosing, sama-sama * sala-sala, sera présentée sur notre scène numérique pendant tout le mois de mai.
Christine Mangosing est une graphiste et directrice de création originaire de Manille et vivant à Toronto. Fondatrice et principale créatrice du studio de communication visuelle CMANGO DESIGN (en anglais seulement), elle est présentement directrice de création associée chez Dentsu Creative. En tant qu’artiste multidisciplinaire, elle a aussi intégré l’écriture, le théâtre et la danse à sa pratique.
Nous avons discuté avec elle de son œuvre et de l’importance de la culture, de la communauté et de l’histoire dans ses projets artistiques.
Comment décririez-vous l’œuvre que vous avez créée pour la Lanterne Kipnes du CNA?
J’ai conçu sama-sama * sala-sala comme une tapisserie vivante où s’entrelacent le passé (je tisse des liens avec mes ancêtres connus et inconnus), mon présent (en tant que membre de la diaspora philippine et immigrante ayant quitté une terre colonisée pour une autre), et l’avenir (je laisse de l’espace pour la suite et je réfléchis à ce qu’on laisse derrière soi).
L’œuvre rend hommage aux tissages et tatouages autochtones traditionnels des régions du centre et du nord de Luçon ainsi que de l’île de Panay, d’où viennent mes ancêtres. Ancrées dans le concept de kapwa, cette « reconnaissance intuitive que nous partageons une identité commune » (Cervantes), les fibres entrelacées représentent bien l’interconnexion au sein de la communauté et l’interdépendance de nos avenirs collectifs.
Quand j’ai commencé à réfléchir à cette œuvre et à ce que je voulais créer, les mots reprendre racine, rappeler et réparer me résonnaient en tête.
Quand on parle de reprendre racine, on parle de migration et de séparation, de la résilience et de l’adaptabilité nécessaires pour tout recommencer.
Se rappeler, c’est réfléchir à ce qu’il nous reste de nos origines, aux legs et à la sagesse de nos ancêtres qui peuvent éclairer le chemin à suivre.
Enfin, le plus important pour moi en tant que mère immigrante, c’est l’action de réparer. Il faut reconnaître et soigner les traumatismes générationnels, se défaire de la peur et de la honte envers notre culture qui ont été inculquées à une grande partie de ma génération. Ce sont des vestiges de centaines d’années de colonialisme et d’occupation, de conflits et de déplacements forcés, et nous apprivoisons encore les mots pour en parler, particulièrement dans le contexte actuel.
Je crois profondément que c’est ma responsabilité en tant que mère, artiste et membre de ma communauté de tisser des liens avec ma culture et ses histoires, mais aussi d’imaginer (et de contribuer à créer) une nouvelle façon d’être. Il ne faut pas voir les blessures du passé comme un obstacle, mais comme un moteur de progrès. Comment peut-on, en tant que communauté et modèles pour les générations à venir, aller de l’avant en conservant un lien positif avec le passé, tout en redéfinissant notre sentiment d’appartenance aux Philippines, au Canada, au genre humain? Quand on répare, l’objectif n’est pas simplement de reconstruire ce qui était, mais aussi de créer quelque chose de nouveau.
Quelle a été votre approche créative?
Je suis depuis très longtemps fascinée par les matières tissées des différentes régions des Philippines et leur façon de symboliser la nature, la communauté et l’âme, en alliant beauté et divinité avec le pratico-pratique. Au fil des ans et de mes voyages aux Philippines, j’ai accumulé des livres, des articles, des images, des bouts de tissu, des banig, etc. Tout ça a été le point de départ pour les éléments qui composent cette œuvre.
Dans la culture autochtone des Philippines, le tissage est vu comme une tradition sacrée et une forme d’art. Il n’est pas considéré comme une création individuelle, mais plutôt comme le produit de la conscience collective. Les symboles et les motifs que j’utilise dans cette œuvre ont tous une signification profonde pour mon peuple d’origine, dont je célèbre ici les principes et les croyances.
Motifs du tatouage kalinga
- Langues de serpent : Rester à l’écoute de la voix des ancêtres.
- Montagnes qui se font face, séparées par des rivières et des sentiers : Guider la personne sur la bonne voie.
- Gerbes et grains de riz : Famille, abondance et l’œil omniscient des ancêtres.
Structure
- Structure symétrique : inspirée des tissus bontoc, qui se fondent sur l’idée de centralité.
- Panneaux horizontaux et verticaux entrecroisés : rend hommage aux tissus hablon de l’île de Panay.
Motifs
- Motifs géométriques invoquant les traditions de tissage kalinga et ilokano.
- Lingling-o : Type d’amulette ancienne trouvé dans toute l’Asie-du-Sud-Est. Combinaison d’énergies masculines et féminines. Symbole de fertilité et de vitalité, de protection, d’équilibre et d’interconnexion.
- Segments non tissés : Représentent les histoires à venir – le travail que nous faisons en ce moment, ce que nous laisserons derrière nous.
Symbolique
- Les montagnes, l’océan, la terre d’où je viens.
- Mes lolas (grand-mères paternelle et maternelle) : les ancêtres que je connais, porteuses de résilience, d’adaptabilité, de force et de grâce.
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Cervantes, Carl Lorenz [@sikodiwa], Kapwa. Instagram, 27 février 2024.