Du théâtre pour les jeunes : un présent pour tout le monde

Illustration d'un enfant avec des nattes qui pousse un autre enfant à travers l'ouverture d'une fenêtre.
Visuel 2024-2025 du volet Enfance/jeunesse © Gérard DuBois
L’équipe est récompensée en décembre 2023: «Leur volonté de nourrir les esprits et les cœurs ainsi que le potentiel artistique des enfants et des jeunes est sans pareil, et le CNA ne s’en porte que mieux.» (Natasha Harwood, directrice d’Arts Vivants)

Composante essentielle du Centre national des Arts, le volet Enfance/jeunesse du Théâtre français aura bientôt une nouvelle direction artistique associée. Après plus d’une décennie à ce poste, l’incomparable Mélanie Dumont s’en va relever d’autres beaux et grands défis ailleurs, cependant la vivacité de la petite équipe continuera de se manifester grâce au travail acharné – et passionné – de Véronique Lavoie Marcus, adjointe à la programmation Enfance/jeunesse, et d’Elyse Gauthier, agente d’éducation et de relations avec les publics.

L’occasion était belle d’interroger Véronique et Elyse afin d’en apprendre davantage sur leur riche expérience qui permet de réaliser, tout en la nourrissant, la vision de la direction artistique.

Pouvez-vous nous expliquer en quoi consistent vos rôles respectifs?

Véronique – À titre d’adjointe à la programmation Enfance/jeunesse, je suis le bras droit et la complice de la directrice artistique associée. J’aime à dire qu’au cours des onze dernières années, mon rôle au sein du Théâtre français a été d’actualiser la vision artistique de Mélanie.

De façon plus spécifique, je suis responsable de l’administration et de la coordination générale du volet Enfance/jeunesse, que ce soit l’accueil des spectacles et des compagnies ou des publics, de même que la conception des activités de médiation scolaires et familiales ainsi que des projets spéciaux. Je supervise également le travail de l’agente d’éducation et de relations avec les publics.

Elyse – Pour ma part, je m’occupe d’opérer le lien entre les écoles et le Théâtre français en ce qui a trait aux réservations des matinées scolaires et des ateliers. Parfois, il faut aussi aller faire de la médiation dans les écoles afin de donner des ateliers, alors j’accompagne les artistes pour préparer les élèves à venir assister à une matinée scolaire. Ça, c’est plus mon rôle d’agente d’éducation.

L’autre facette de mon poste, les relations avec les publics, a été ajoutée dans la dernière année. Là je travaille plus du côté familial – pas seulement en milieu scolaire – autour de nos représentations publiques pour lesquelles je fais du « outreach » communautaire afin d’aller chercher de nouveaux publics, de rendre notre offre aussi accessible que possible. Cette année nos efforts ont surtout été mis sur les ados et les jeunes adultes. On parle de partenariats avec des organismes, des écoles, et cela peut prendre différentes formes comme des kiosques pendant les festivals de théâtre scolaire ou des événements qu’on organise pour les jeunes avant les spectacles.

Souvent, lors d’un spectacle jeunesse ou une matinée scolaire, on peut t’apercevoir, Elyse, en train de décorer le foyer du Studio Azrieli, préparer une activité pour plonger les spectateur·rice·s dans cette ambiance. Pourquoi c’est important de le faire? Est-ce que cela influence leur expérience présente et future?

Elyse – Il faut se dire que si un·e enfant ne vient pas régulièrement au théâtre avec sa famille, la sortie scolaire sera peut-être la seule occasion dans l’année que cet·te enfant aura de faire l’expérience du théâtre au CNA. Nous tenons donc à créer une ambiance propice dès l’arrivée des groupes pour bien préparer les élèves avant la représentation. Nos spectacles sont assez courts – généralement autour d’une heure –, mais quand on a une activité d’avant-spectacle ou un atelier préparatoire, on peut prolonger l’expérience et ajouter beaucoup de contexte et de plaisir à tout ce que les artistes apportent déjà. 

« Nous espérons vraiment qu’un moment de magie et d’émerveillement ait lieu pour donner le goût à ces élèves de revenir chez nous ou d’aller ailleurs pour continuer de fréquenter les arts de la scène, que ce soit de la danse, du théâtre ou de la musique. » Elyse Gauthier, agente d'éducation et de relations avec les publics

Nous essayons aussi de rejoindre les familles de ces enfants. Et une des initiatives qu’on a développées est d’envoyer aux parents des lettres contenant une description du spectacle et des suggestions de questions, avec comme titre « Votre enfant est venu·e au théâtre aujourd’hui » ; cela donne la chance aux parents de lancer une discussion avec leurs enfants au sujet de l’art qu’ils ont vu. On y glisse aussi un carton avec nos prochains spectacles, en espérant que cela incite les familles à continuer de venir au théâtre avec leur enfant, si elles ne le font pas déjà.

Votre mission, plus encore que de vendre des spectacles, est donc de faire aimer les arts de la scène au jeune public?

Elyse – Quand il s’agit de matinées scolaires, surtout avec la subvention financière d’Arts Vivants [visant à contourner les obstacles économiques pour certaines écoles], le but ce n’est pas de vendre des billets et de remplir la salle, mais bien d’aller chercher des groupes qui ne viennent habituellement pas au théâtre, qui n’ont pas vraiment eu la chance d’être là. Notre travail est de rendre l’art accessible à tout le monde.

Je pense aussi au moment où les groupes arrivent au CNA : Mélanie, Véronique et moi travaillons ensemble pour rendre l’expérience la plus favorable possible, que ce soit en faisant un plan de scène en fonction des âges et des tailles des enfants, ou en modifiant un guide pédagogique pour l’adapter à des élèves en immersion, par exemple. Il y a plein de petits détails qui rendent l’expérience plus positive pour chaque élève qui entre chez nous, et il s’agit de notre priorité.

Avant l’arrivée des enfants au théâtre, il y a évidemment toute une préparation qui se déroule en amont. Véronique, à qui t’adresses-tu principalement dans le cadre de ton poste : aux enfants? aux parents? aux enseignant·e·s? aux directions d’école? à d’autres personnes?

Véronique – Excellente question! Pour moi, c’est une évidence absolue que l’enfant est au cœur de tout notre travail, puisque l’enfant est d’abord au cœur de la démarche même des artistes dont nous accueillons les œuvres et qui pensent, créent et s’adressent aux enfants comme spectateur·rice·s actif·ve·s, intelligent·e·s et sensibles. Ensuite, sur le plan purement commercial, ce sont évidemment les enseignant·e·s et les parents qui prennent la décision d’amener ou non les jeunes au théâtre. Il est certain qu’une bonne partie de mon travail réside donc également dans l’accompagnement et la sensibilisation des adultes, que ce soit par exemple par un positionnement plus pédagogique de la programmation… car les adultes ont souvent besoin d’être rassuré·e·s, hi hi hi!

Le volet Enfance/jeunesse fait partie intégrante du Théâtre français depuis plus de quarante ans. Véronique, c’est d’ailleurs à ton père, Jean-Claude Marcus, que l’on doit cette importante composante, composante qu’il instaurait au début des années 1980! Comment décrirais-tu l’articulation entre la programmation Grand public et Enfance/jeunesse au sein du Théâtre français? Est-ce qu’il existe des recoupements? Quelles sont les différences?

Véronique – La programmation Enfance/jeunesse fait partie de l’ADN du Théâtre français et c’est ce qui en fait, entre autres, sa grande richesse. Depuis plusieurs décennies, nous soutenons la création jeune public et accompagnons les enfants dans la découverte de propositions artistiques qui sont toujours à la hauteur de leur faculté de pensée et de leur curiosité. C’est une grande expertise que nous avons développée, qui est reconnue partout au pays, et qui nous remplit de beaucoup de satisfaction!

Le volet Enfance/jeunesse et le volet Grand public du Théâtre français font partie d’un vaste tout et se répondent souvent, en quelque sorte, puisque ce sont des programmations qui sont issues de visions artistiques complémentaires.

« Tous nos spectacles correspondent à un désir de soutenir la création et l’audace, d’encourager une certaine prise de risque chez les publics, de créer la surprise, la réflexion, l’engagement et, généralement, l’émerveillement. » Véronique Lavoie Marcus, adjointe à la programmation Enfance/jeunesse

Nous avons beaucoup de chance, au Théâtre français du CNA, de jouir d’une liberté artistique quasi totale, un terrain de jeu très vaste qui nous permette de présenter à nos publics des spectacles et des expériences hors du commun, tout en offrant aux artistes et aux créateur·ice·s une plateforme de diffusion extraordinaire.

Quelle est la partie de votre travail que vous préférez? Quelle est la réalisation qui vous procure le plus de fierté?

Véronique – Chaque saison nous présentons environ six spectacles au jeune public; nous travaillons très fort tout au long de l’année pour que ces moments de rencontres entre les artistes et les enfants soient parfaits et que la magie opère! Alors une fois que la compagnie est installée, que le montage du décor est complété, que les artistes sont prêt·e·s, que les équipes d’accueil sont sur place, que les autobus scolaires arrivent et qu’en débarquent des centaines d’enfants ; quand ces enfants, parfois très jeunes, prennent place dans le théâtre, fébriles, et que, finalement, le spectacle commence et qu’on sent qu’on partage, tout le monde ensemble, un moment privilégié, spécial et hors du temps ; c’est ça que je préfère, c’est ce qui me rappelle à la fois l’importance de mon travail et la chance immense que j’ai de le faire au sein d’une équipe de feu et d’une super communauté d’artistes.

Elyse – L’aspect de mon travail qui me rend le plus fière, c’est de voir l’impact de notre travail sur notre jeune public. Après des mois et des mois de préparation, de communication avec les enseignant·e·s, de développement de projets de médiation, il n’y a rien de mieux que de voir les visages des jeunes spectateur·rice·s s’illuminer devant une œuvre qu’ils ou elles ne verraient jamais ailleurs que chez nous. Dans cet instant-là, tout le travail qu’on fait trouve son sens, lorsqu’on partage la joie des jeunes qui sont dans la salle.

Selon moi, la présence des enfants et jeunes dans le public remet en question plein de conventions que nous tenons souvent pour acquises. Les jeunes sont des spectateur·rice·s très honnêtes qui amènent une énergie assez particulière dans une salle de théâtre, que ce soit par leurs réactions audibles, leur capacité à se laisser emporter par la fiction ou la magie du théâtre, ou leur curiosité insatiable. Je crois qu’un public adulte pourrait vraiment bénéficier de venir au théâtre avec le regard libéré de l’enfance. Et j’ai le même sentiment quand je me rends dans les écoles de la région afin d’accompagner nos artistes-enseignant·e·s pour des ateliers, et que j’ai la chance d’entendre des jeunes s’exprimer avec créativité – ce qui permet de découvrir une nouvelle façon de voir le monde qui nous entoure.

En 1989, Véronique, la défunte revue Liaison demandait à ton père* : « Toi qui as l’occasion de voir un grand nombre de spectacles destinés à la jeunesse, quelle perception as-tu de ce qui se fait dans ce domaine? » Si on te posait la même question, que répondrais-tu, toi?

Véronique – Je n’ai jamais autant de plaisir au théâtre que quand j’assiste à un bon spectacle jeune public. Car ces spectacles sont souvent créés avec le souci profond de s’adresser le plus justement possible au spectateur le plus exigeant qui soit : l’enfant. Pour arriver à ce que l’adresse soit juste, pour parvenir à lui plaire, à le toucher, il faut savoir redoubler d’inventivité. Créer un spectacle pour enfant nécessite qu’on le connaisse, cet enfant à qui on s’adresse, qu’on le prenne au sérieux, qu’on respecte son intelligence et sa sensibilité. Ainsi, les processus de création des spectacles pour l’enfance et la jeunesse ont ceci de particulier qu’ils naissent souvent au terme de longs processus de réflexion, de recherche et d’expérimentation auprès des enfants. Le terreau de la création jeune public a de particulier son infinie fertilité ; on peut aller partout, tant dans le fond que la forme et, pour l'adulte, c’est absolument rafraîchissant!

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Propos recueillis avec l’aide d’Anicée Lejeune, que nous remercions chaleureusement.

* Marc Haentjens, « Jean-Claude Marcus. Théâtre Jeunesse : adultes s’abstenir », Liaison, n° 52, dossier « La culture au jardin des enfants », mai-juin 1989, p. 41.


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